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Finances d'entreprises
31 mai 2006

Emploi

Echec français, modèle britannique?

propos recueillis par Anne Vidalie

Les statistiques sont cruelles: 4,7% de chômeurs parmi la population active en Grande-Bretagne, 9,6% en France. Et, en prime, outre-Manche, plus de seniors et de jeunes au travail, une croissance plus dynamique, une richesse par habitant supérieure. La France devrait-elle s'inspirer de l'exemple britannique? Débat entre deux hommes qui ont passé de longues années aux premières loges de la politique de l'emploi dans leurs pays respectifs: Bernard Brunhes, vice-président du groupe de consultants BPI, a été conseiller social de Pierre Mauroy à Matignon; le très francophile - et parfait francophone - Denis MacShane, ex-ministre des Affaires européennes de Tony Blair, est aujourd'hui député de Rotherham, une circonscription du Yorkshire durement touchée par le déclin de l'industrie minière et sidérurgique dans les années 1980

Les jeunes et les salariés sont descendus dans la rue pour dire non au contrat première embauche (CPE). Cette allergie à la flexibilité est-elle une exception française?

Denis MacShane: La réalité est là: le chômage de masse s'installe chez les jeunes Français. Pourquoi ne pas examiner ce qui se pratique en Espagne, dans les pays scandinaves, en Grande-Bretagne, au Canada, et même aux Etats-Unis, puis décider quelles sont les meilleures options pour la France? La flexibilité, à mon sens, est essentielle à la modernité.
Bernard Brunhes: Ce n'est pas la flexibilité que les étudiants redoutent, c'est la précarité, la difficulté de s'insérer. Mais, dans le discours politique et idéologique français, flexibilité = précarité = impossibilité de s'insérer. Ce qui est faux. Le marché du travail français est beaucoup plus flexible qu'on le dit. Les contrats à durée indéterminée n'empêchent pas les licenciements économiques. Quant aux jeunes, ils sont abonnés aux contrats à durée déterminée et aux stages. La flexibilité est là depuis longtemps!


«Chacun devrait pouvoir travailler plus s'il le souhaite»
Denis MacShane

Le taux de chômage britannique est inférieur de moitié au nôtre. Y a-t-il une réussite britannique et un échec français?

D. M.: Nous avons nos propres problèmes: notre économie tourne moins bien et une grande partie des postes de travail créés ces cinq dernières années sont dans le secteur public, donc payés par les impôts. Or, si le taux d'imposition devient trop lourd, nous courons le risque de réactions négatives de nos concitoyens. Cela dit, il est très grave pour l'Europe que les économies de trois des quatre grands pays, la France, l'Italie et l'Allemagne, tournent au ralenti, avec des niveaux de chômage élevés. Ce qui me surprend, c'est de constater à quel point la France n'a pas modifié son idéologie ni son approche de l'économie depuis dix ans. L'immobilisme est total. Vous avez la droite ultralibérale, style Nicolas Baverez, qui dénonce, dénonce, dénonce. C'est le Savonarole du néoconservatisme! Vous avez les intellectuels les plus brillants de la gauche européenne, Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn et François Hollande, qui chantent les hymnes de la dernière décennie. Quand la France va-t-elle se réformer? Quand les socialistes vont-ils se décider à reconnaître que le roi étatisme est nu?
B. B.: A l'heure actuelle, le Royaume-Uni récolte les fruits d'une période extrêmement dure, au cours de laquelle Margaret Thatcher a pris des options libérales très fermes. Nous ne sommes pas du tout dans cette situation en France. Le combat politique entre une droite qui n'est pas vraiment à droite et une gauche tirée vers l'extrême gauche est marqué par des discours idéologiques qui ne coïncident pas avec la réalité. Le libéralisme n'existe pas. Dire, simplement, que l'économie libérale est une donnée, que les emplois ne sont pas durables ne va pas de soi.
D. M.: Ce qui a changé en Grande-Bretagne, c'est que le Labour, en arrivant au pouvoir, a fait son aggiornamento. Après dix-huit ans d'opposition, nous nous sommes dit: «Plus jamais ça!» Nous avons cherché partout dans le monde des solutions qui marchent. Nous avons mis en place un salaire minimum, en nous s'inspirant du Smic français, par exemple. Avec les syndicats, nous avons été très clairs: c'est le gouvernement élu qui gouverne, pas eux. Nous n'avons pas cherché à défendre les emplois à tout prix. Nous avons choisi d'ouvrir notre marché aux investisseurs. Le drapeau britannique ne flotte plus sur nos entreprises, c'est vrai! Oui, nos constructeurs automobiles ont été remplacés par des Japonais. Oui, l'approvisionnement en électricité a été confié à EDF. Mais je n'ai pas l'impression de trahir mon pays en portant une cravate Hermès ou en roulant en Peugeot. Quand je monte dans un avion d'Air France, je ne me demande pas si les moteurs sont fabriqués par Pratt & Whitney ou Rolls-Royce. Et je trouve ça très bien qu'EDF ait placardé notre capitale d'affiches disant: «Oui à Londres pour les Jeux olympiques de 2012»!
B. B.: Nous vivons les mêmes évolutions que la Grande-Bretagne. Beaucoup d'entreprises prétendument françaises sont détenues par des fonds de pension ou des capitalistes étrangers. Mais, ici, ces changements passent mal. Voyez la bagarre qui oppose Suez, Enel et Gaz de France. Le gouvernement souhaite une fusion Suez-Gaz de France pour ne pas laisser entrer sur notre marché les Italiens d'Enel. La preuve que la droite française est loin de l'ultralibéralisme! Quant aux personnels de Gaz de France, ils protestent contre une privatisation masquée. Plus personne ne se préoccupe de savoir si l'opération est économiquement intéressante pour notre pays.

En Grande-Bretagne, mieux vaut un mauvais emploi que pas d'emploi du tout. En France, on préfère un bon chômage à un mauvais emploi…

B. B.: Un salarié français qui perd son poste peine à en retrouver un; un Britannique sait, lui, qu'il a de bonnes chances. Voilà qui façonne des visions de l'emploi très différentes. En France, on a peur. Pour soi, pour ses enfants, ses amis. Cette peur gèle le débat, bloque le dynamisme économique.
D. M.: J'ai un ami anglais qui est guide de haute montagne à Chamonix. Il souhaitait embaucher quelqu'un pour s'occuper de ses clients et de sa paperasserie administrative. Il pouvait payer un salaire, mais pas les charges sociales. Résultat: pas d'emploi créé, pas d'argent injecté dans l'économie de Chamonix. Il y a, en France, des centaines de milliers de cas identiques. Voilà une révolution à mener: transférer vers l'impôt les sommes nécessaires pour assurer la couverture médicale, au lieu d'en faire une question de vie ou de mort pour l'entreprise.
B. B.: Les choses ont évolué avec l'introduction de la contribution sociale généralisée, prélevée sur la quasi-totalité des revenus. La complexité de notre système d'aides à l'emploi me semble aussi grave que le niveau des charges. Nous avons tellement de catégories de contrats plus ou moins aidés que les employeurs ne s'y retrouvent pas. Et, régulièrement, on empile de nouveaux dispositifs, comme le CPE et le contrat nouvelle embauche. En Grande-Bretagne, la politique de l'emploi s'inscrit dans la continuité depuis dix ou quinze ans. Tony Blair n'a pas révolutionné le système, il l'a amélioré.
D. M.: Il a également donné la priorité à la création d'entreprises et d'activités nouvelles. En France aussi, il faut envoyer des signaux aux investisseurs et aux entrepreneurs, chercher dans tous les domaines comment libérer les énergies. Deux exemples. Ici, vendre ou acheter une maison coûte deux fois plus cher à cause du corporatisme des notaires et des avocats. Trouver des fonds pour créer une société n'est pas une mince affaire non plus. Chez nous, il suffit de contracter un emprunt de 100 000 euros contre la valeur de sa maison.
B. B.: Votre vision est un peu négative. J'ai une maison à Saint-Gervais, près de Chamonix. Deux chalets viennent d'être construits à côté du mien… par des Anglais, sûrement convaincus qu'on peut investir en France!
D. M.: Tant mieux. Ils ont donné du boulot à des entreprises françaises…
B. B.: Pas du tout. L'un des deux est venu avec son camion et a tout apporté. Quant à la création d'entreprises, elle ne marche pas si mal en France: 220 000 sociétés voient le jour chaque année. Nous ne souffrons pas d'un manque d'initiative individuelle, mais du conservatisme extraordinaire des institutions et des structures. Prenez le Code du travail: le nombre d'articles a été multiplié par quatre en vingt-cinq ans. Quant à notre service public de l'emploi, il est éclaté entre une dizaine de services. En cas de restructuration ou de licenciement économique collectif, vous avez en face de vous des représentants de l'ANPE, des Assedic, de la mission locale pour l'emploi, de l'inspection du travail, de la direction départementale du travail, etc.


«Ce n'était pas idiot, les 35 heures. Mais la formule est rigide»
Bernard Brunhes

La France dépense beaucoup moins d'argent que la Grande-Bretagne pour la réinsertion des chômeurs, mais beaucoup plus pour leur indemnisation…

B. B.: En effet. En outre, cet argent est mal utilisé, puisqu'il est réparti entre de multiples administrations qui passent plus de temps à se coordonner, à faire du travail administratif - ou à se disputer - qu'à véritablement lutter contre le chômage. Il y a un conseiller pour 160 chômeurs dans le service public de l'emploi français, 1 pour 30 en Grande-Bretagne.
D. M.: Nous, nous n'avons pas hésité à dire aux chômeurs: «Vous devez accepter un boulot, même s'il ne vous convient pas, sinon vous allez perdre vos allocations.» En France, on parle beaucoup de droits, très peu de responsabilités.
B. B.: On voit bien qu'il faudrait consacrer plus d'argent à la recherche d'emploi, et moins à l'indemnisation. Mais nous sommes dans un cercle vicieux. Etant donné notre taux de chômage et la faiblesse de nos services de conseil et d'accompagnement, nous ne pouvons que dire aux chômeurs: «Vous avez des droits, mais aussi des responsabilités.» Pas l'inverse.

La France s'est-elle fourvoyée en réduisant la semaine de travail à 35 heures?

D. M.: Dans les années 1980, la métallurgie a fait grève pour les 35 heures, en Grande-Bretagne comme en Allemagne. J'étais pour. Nous avons d'ailleurs arraché la semaine de 39 heures en Grande-Bretagne. Mais j'avais tort. J'espère que la gauche française, à son tour, va dire: «Nous avons eu tort.» En 1970, quand un Américain travaillait 100 heures, un Français en faisait 107. Aujourd'hui, c'est 70. Chacun devrait pouvoir travailler plus s'il le souhaite.
B. B.: Ce n'était pas idiot, les 35 heures. Martine Aubry souhaitait que la réduction du temps de travail fasse l'objet de négociations entre patronat et syndicats. Trop divisés, ils en ont été incapables. Résultat: au lieu d'un système souple, nous avons une formule rigide qui ne permet pas à ceux qui le veulent de travailler davantage.
D. M.: J'ai l'impression que les syndicats, en France, préfèrent se montrer contestataires face à un gouvernement de droite plutôt que coopératifs avec un gouvernement de gauche… En Grande-Bretagne, après les années Thatcher, nos syndicalistes ont jugé que le pire des gouvernements travaillistes valait mieux que le meilleur des gouvernements conservateurs.

Les socialistes français ne sont pas prêts à s'inspirer du Labour de Tony Blair, semble-t-il...

D. M.: Je me souviens de la réaction de l'un de mes collègues ministres, après la nomination de Lionel Jospin à Matignon. «Y a-t-il quelque chose qu'on peut apprendre des socialistes français?» s'est-il interrogé. Cette arrogance m'avait choqué. Quelque temps plus tard, je suis venu à Paris pour ma première réunion avec l'équipe de Jospin. Qu'ai-je entendu? Non à la flexibilité. Non au libéralisme. Non aux petits boulots. J'ai eu le sentiment que, si une solution n'était pas made in France, elle n'était pas bonne. Il y a vingt ans, j'ai écrit un document pour la Fabian Society, un club de réflexion de centre gauche, qui s'intitulait «Leçons françaises pour le parti travailliste». On m'a accusé de vouloir vendre au Labour le mauroyisme et le mitterrandisme. Quelqu'un pourrait-il écrire aujourd'hui «Des idées anglaises pour le PS»?
B. B.: Ségolène Royal, peut-être… Mais il est vrai que le système britannique nous effraie. Pour de mauvaises raisons, qui tiennent à l'idéologie, à notre peur de ce que nous appelons l'ultralibéralisme…
D. M.: Alors qu'il n'y a jamais eu autant d'Etat en Grande-Bretagne…
B. B.: C'est vrai. Nous avons aussi quelques bonnes raisons de nous méfier: l'insuffisance des services publics - même si Tony Blair essaie d'y remédier; l'existence d'une masse importante de pauvres que l'on force à prendre des emplois dont ils ne veulent pas; la mort de l'industrie britannique.
D. M.: Le chômage de masse, à mes yeux, est à la France d'aujourd'hui ce qu'était le conflit algérien à la France de ma jeunesse. Il faut que quelqu'un tranche le nœud gordien, dise «je vous ai compris», pour mieux libérer la France de ce fardeau qui sape physiquement votre pays.

Source : www.l'express.fr

Merci Denis MacShane!

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  • Ce site traite de la finance d'entreprise en général, d'évaluation de sociétés et de comptabilité générale. Il a été crée dans le cadre d'un cours de veille économique assuré par Jean-Paul Pinte enseignant en master de management et contrôle.
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